37 La fille de Mara

Dans le carré réservé aux prétendants exécutés, les spectres des princes regardent Calaf d’un mauvais œil. Comme toutes les âmes errantes, ils le jalousent pour les nombreuses années de vie qui s’offrent encore à lui. Certains ne supportent pas l’idée qu’il puisse réussir l’épreuve des énigmes à laquelle ils ont échoué. D’autres, narquois, rient de son trouble et compte bien le malmener pour se moquer de lui. Afin de le déranger dans sa méditation, ils se rassemblent autour de lui, chacun sa tête à la main. Bien décidés à le tourmenter et souhaitant qu’il soit exécuté, ils tournent autour de lui, en gémissant « Si tu l’appelles, elle apparaîtra, celle qui nous fait rêver, même morts. Fais qu’elle parle ! Fais que nous l’entendions ! Je l’aime, je l’aime ![1] ». Alors Calaf fait entorse à sa recherche de vérité et clairvoyance. Sous le coup de la colère et de la passion, il hurle « Non, non ! Moi seul l’aime ! ».

A ces mots, un grand éclat de rire retentit dans le cimetière. Une femme surgit de l’ombre des tombes et des arbres, en ondulant avec grâce. Elle s’approche de Calaf et lui caresse le visage, en lui susurrant : « Tu n’es seul à aimer la sublime Turandot, mais tu es seul ici à avoir l’avantage d’être vivant ». Devant lui, elle danse sensuellement, en vantant les charmes de l’amour, de la beauté et de l’exaltation des sens. Calaf est hypnotisé. Plus il regarde la femme danser, plus il est convaincu que son destin est d’épouser l’impératrice. Il n’a malheureusement pas reconnu dans cette belle femme, l’une des filles du démon Mara.

fille_de_mara

 

Mara est le maître des passions et des désirs. Ennemi de la clairvoyance, il fait obstacle dès qu’il le peut au cheminement des Hommes vers l’Illumination. Selon la légende, il aurait tenté de distraire Bouddha lui-même de sa méditation. N’y parvenant pas, il a dépêché ses filles pour le séduire. Elles n’eurent pas plus de succès.

Mara

Calaf, élevé dans la sagesse depuis sa naissance serait une prise de choix, pour lui. Mara a ainsi demandé à l’une de ses filles d’exciter son amour pour Turandot afin qu’il tente l’épreuve des énigmes avec l’esprit troublé et échoue. Il pourra alors le torturer dans son royaume infernal. Ainsi sa fille danse devant lui, avec légèreté, accompagnée des spectres des prétendants. Elle en appelle aux passions de Calaf pour qu’il parte frapper le gong. Soudain, à la danse de la démone, répond un chant grave provenant du tréfonds du cimetière.

Sources d’inspiration :

Dictionnaire de la sagesse orientale : bouddhisme, hindouisme, taoïsme, zen, Paris, Robert Laffont, 1989.

[1] Giuseppe ADAMI et Renato SIMONI, livret de l’opéra Turandot.

095c one of Mara's Daughters, photograph by Anandajoti Bhikkhu

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