28 Belle à mourir

Étrange obsession pour la beauté, en ce règne de  Turandot. Pour elle, on sacrifie ou on épargne.  Si nous connaissions les traits de la souveraine, nous pourrions peut-être comprendre la raison d’un tel engouement. Hélas, il semble que son portrait se soit évaporé au fil du temps. Nous ne connaissons d’elle qu’une description.

En effet, après la chute de la dynastie de Turandot, les eaux du fleuve Yin charrièrent les chroniques d’un lettré. Presque tout le rouleau est illisible, mais l’encre du texte qui suit ne s’est pas effacée.

« Notre mère céleste jouie d’une beauté taillé dans le marbre blanc et le diamant. Sa splendeur est à l’image de la Cité Interdite, ni le temps ni la mort ne peuvent la flétrir. Les passions glissent sur sa peau et laisse parfait et intact son visage, lequel restera inchangé pour dix mille années de vie. Les hommes de notre empire savent apprécier cette beauté qui fait injure à la fragilité. Ils la contemplent de loin, en admirant l’harmonie de ses traits, comme on contemple les peintures des maîtres ou les grands bouddhas sculptés dans la pierre. Aucun d’eux ne s’est encore consumé dans un amour irraisonné. Les princes étrangers qui ne connaissent de Turandot que ses portraits et non son âme, ne peuvent comprendre sa beauté. Rendus fous par la magnificence de son visage, ils veulent s’en emparer comme on vole un bijou ou comme on se goinfre d’un morceau de viande. Ils ne savent pas que l’impératrice vivra dix mille ans, ni ne devinent que sa beauté s’inscrit dans l’éternité. C’est pourquoi je les méprise et ne pleure pas leur mort. La beauté noble et immuable ne peut s’offrir qu’à celui qui sait l’apprécier. Celui qui la souille n’est pas digne de vivre. »

Nous ne savons rien aujourd’hui du visage ou de l’apparence de Turandot. Il se dit que les mères des prétendants décapités ont brûlé tous ses portraits. D’aucun le déplore, d’autres s’en réjouissent. C’est ainsi, à en croire ces deniers, que sa beauté appartient à l’éternité et que son parfum reste impérissable. À la voir aujourd’hui, nous pourrions ne pas comprendre la fascination qu’elle exerçait. Les critères esthétiques de son époque sont-ils toujours valables pour nous ? Rien n’est moins sûr.

Par sa beauté qui est à l’image de la Cité interdite, Turandot est immortelle et son souvenir vivace. Tel était son souhait ; telle est sa plus grande réussite.

Sources :

  • CUNMING Zhu, FERNANDEZ Dominique, La beauté, Paris, Desclée de Brouwer ; Shanghai : Presses artistiques et littéraires de Shanghai, 2000
  • CHENG François, Cinq méditation sur la beauté, Paris, Albin Michel, 2006.

Les portraits de Turandot ont été détruits, mais nous pouvons essayer de nous faire une idée de son visage avec cette galerie : pinterest-logo

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